La question qui se pose est : ces deux actions sont-elles indépendantes ? Peut-on construire un programme pour produire d'avantage en France d'une part et un autre programme indépendant d'autre part pour instruire mieux ? Je prétends que non, voilà pourquoi.
Depuis trois générations, les classes moyennes, prenant modèle sur les aristocrates d'abord, puis sur les riches bourgeois, ont dédaigné les professions en contact avec la matière : paysans, ouvriers, artisans et leur ont préféré, pour eux-mêmes mais surtout pour leurs enfants, les professions libérales, les carrières militaires, administratives si possible dans la fonction publique, en tous cas salariées. Depuis une trentaine d'années, cette tendance a envahi l'ensemble de la population, y compris d'origine ouvrière.
Il n'y aurait que demi-mal si le système éducatif était capable d'ouvrir les yeux des jeunes sur les larges possibilités de métiers et activités de l'industrie, du commerce, de l'administration, de la finance...Mais, combien avez-vous rencontré d'enseignants, voire de conseillers d'orientation, capables d'informer les élèves sur un métier de la vraie vie autre que le leur ? Comment le pourraient-ils ? Ils ont toujours été enseigné ou enseignants, ils n'ont, la plupart du temps, pas d'occasion de s'informer sur d'autres métiers, encore moins ceux de l'industrie, là où on produit en série et en respectant des normes et des conditions économiques inconnues de l'administration. Bien plus, au nom du mépris du profit et de l'indépendance des intellectuels vis à vis du système productiviste certains élèvent au rang de doctrine philosophique cette ignorance.
Une autre influence néfaste s'est répandue largement dans nos entreprises depuis une vingtaine d'années. Elle se résume par une formule courte : "faire faire au lieu de faire" ce qui signifie : " achetez, sous-traitez mais ne fabriquez pas" avec le sous-entendu : "nous n'aurons plus besoin de ces ouvriers revendiquards et flemmards...". Cette tendance est une conséquence directe des deux constats précédents, elle est le fait de ces jeunes cadres sortis des grandes écoles après des brillantes études théoriques. Ceux-ci non plus ne sont pas à l'aise ni avec la technique productive, ni avec les ouvriers, par contre ils se gaussent de termes étasuniens : ils n'encadrent pas, ils "managent", ils ne font plus d'affaires mais du "bisness", ils ne le font plus en produisant mais en "tradant" (spéculant). Ils préfèrent négocier des contrats d'achats de produits plutôt que de conduire une unité de production pour les fabriquer, ils vont même jusqu'à préférer acheter une entreprise viable pour la dépecer et la vendre par morceaux.
J'évoquerai aussi les entreprises artisanales qui disparaissent quand l'ancien patron prend sa retraite et qu'il n'a pas trouvé le moindre candidat pour sa succession alors que l'outil et la clientèle existent, cependant que des jeunes d'une trentaine d'années cherchent des emplois. Et pourtant, prenons un exemple, quelle formation faut-il pour devenir artisan peintre ? Prestataire très recherché auquel il suffit d'un peu de bon sens, de rigueur et de courage pour monter en quelques années une entreprise fructueuse.
On le voit, les Français se sont laissés influencer par une mode néfaste : Ils veulent tous des emplois de bureau. Le phénomène peut être considéré comme culturel.
Il est nécessaire d'inverser cette tendance et ce ne sera pas facile. Pour cela on ne pourra pas agir facilement sur la mentalité des familles ni sur celles des cadres d'entreprises, il n'y a pas de "leviers" simples à actionner pour les inciter suffisamment. Il ne sera pas non-plus facile de faire évoluer le système éducatif mais c'est impératif . Si l'on n'arrive pas à faire rentrer dans les missions de l'éducation nationale celle de "instruire pour produire", on ne pourra jamais redonner au Français le goût de la production.
Je propose quelques "pistes" :
1 : recruter en nombre significatif des volontaires exerçant déjà une profession dans le domaine productif pour enseigner dans les collèges et lycées à temps partiel dans une discipline proche de leur métier,
2 : inciter, en leur permettant de cumuler deux rémunérations, de nombreux enseignants à exercer une profession productive hors éducation nationale, à temps partiel : ne doutons pas, d'ailleurs, que ce sont les meilleurs qui relèveront le défi,
3 : ne plus recruter à plein temps de techniciens pour les titulariser dans des postes d'enseignants techniques. Cette solution pratiquée jusqu'à maintenant sélectionne les techniciens les moins motivés du milieu productif en leur donnant une occasion d'y échapper à bon compte, ils n'apportent donc pas beaucoup "d'esprit productif" à l'enseignement technique,
4 : inciter, voire obliger, les enseignants à plein temps du secondaire et du supérieur à effectuer au moins un stage de 2 semaines par an en entreprise,
5 : développer les stages en entreprises pour les collégiens et lycéens avec des mesures incitatives pour les entreprises.
Ces quelques propositions ne sauraient être exhaustives, il faudra trouver d'autres mesures, sans doutes, pour que le goût de l'effort productif se développe au lieu d'être étouffé mais elles visent à rapprocher le monde éducatif de la "vraie vie" et à renforcer son influence constructive sur la santé de la nation.
Scribe